Contribution au blog Ideas for Development, 22 janvier 2015
La réinvention et la redéfinition de l’aide publique au développement (APD) ne devraient pas être considérées comme des exercices ésotériques qui auraient essentiellement trait à un sujet technique. La redéfinition de l’APD a fondamentalement trait au rôle de l’action publique pour le développement et à l’efficacité de l’aide. Dans nos sociétés de plus en plus complexes, les aides publiques, qu’elles soient nationales ou internationales, devraient avant tout viser à créer des incitations et à coordonner l’action des secteurs publics et privés. Cependant, l’architecture et les modalités de l’aide sont gouvernées par la tendance qu’ont les bailleurs à financer des projets aux résultats visibles, que ce soit en termes de biens ou de services, et qui puissent leur être attribués. À une époque où la notion de « valeur partagée » nous amène à revisiter le concept de partenariat public-privé, moderniser la définition même de l’APD pourrait donner lieu à un changement radical pour l’efficacité du développement.
Pourquoi redéfinir l’APD ?
Redéfinir la notion d’aide publique au développement (APD) se justifie notamment par le fait que la définition actuelle, fondée sur les dons et les prêts concessionnels présentant un degré de concessionnalité supérieur à un certain seuil, prédétermine d’une façon ou d’une autre la nature de ce que l’APD devrait financer. Autrement dit, l’instrument motive le contenu : les dons et prêts appellent naturellement une contrepartie concrète sous la forme de projets de développement élaborés de manière à pouvoir demander à bénéficier de cette APD. Cela conforte les gouvernements des pays donneurs dans leur tendance naturelle à se considérer comme des acteurs directs et autonomes du développement, comptables à ce titre. Cette conception de l’APD prédéterminée par les instruments présente de graves inconvénients. Compte tenu des pressions politiques incitant à déclarer un montant d’APD élevé, elle dissuade d’utiliser l’argent du contribuable pour tout instrument non déclarable au titre de l’APD. Or les instruments actuellement déclarables au titre de l’APD ne sont pas adéquats pour motiver et attirer d’autres acteurs et d’autres bailleurs de fonds potentiels. Élargir la palette des instruments déclarables à des instruments de financement du développement plus innovants pourrait contribuer à mobiliser davantage les forces du marché et l’investissement privé en vue d’atteindre les objectifs de développement.
Favoriser le partage des risques entre le public et le privé
Certaines décisions privées de ne pas investir dans les pays en développement peuvent être motivées par une analyse des risques sérieuse et bien documentée, auquel cas aucune mesure publique compensatoire ne se justifie du point de vue économique. D’autres, cependant, peuvent être dictées par les défaillances du marché – par exemple, manque d’informations correctes, de mécanismes d’exécution des contrats, de rentabilité attendue faute d’investissements complémentaires suffisants ou de mécanismes d’assurance adaptés. Dans ce cas, il y a de bonnes raisons d’utiliser les fonds publics pour créer des mécanismes de partage des risques entre le secteur privé et le secteur public. Le secteur privé n’a pas vocation à promouvoir les biens publics, qu’ils soient nationaux ou mondiaux, mais la fourniture de ces biens bénéficiera souvent de son savoir-faire technique et managérial ainsi que de sa puissance financière. Ouvrir des opportunités de forger des « partenariats public-privé revisités » exigera de bien gérer des relations contractuelles complexes présentant des difficultés notamment en termes d’élaboration et d’exécution. Les fonds publics peuvent contribuer à réconcilier les objectifs de rentabilité du secteur privé et les coûts supplémentaires induits par la fourniture de biens publics. De mon point de vue, l’atténuation des risques est au cœur de la modernisation et de la réinvention du rôle de l’APD. Il y a tout lieu de s’attendre à ce qu’une meilleure analyse des risques et une meilleure couverture permettent d’attirer l’investissement privé et de soutenir l’entrepreneuriat local. Cette conviction présuppose implicitement que les instruments de marché disponibles et les décisions privées spontanées ne permettent pas d’atténuer efficacement les risques, d’où un sous-investissement. Par exemple, les agriculteurs dans les pays en développement pauvres ne sont pas nécessairement en mesure de donner leur future récolte, jugée trop risquée, en garantie, ce qui peut les priver des moyens financiers d’acheter les engrais nécessaires pour augmenter leur production. Proposer une garantie peut alors aider.
De façon plus générale, l’APD devrait être utilisée pour fournir une assurance, des garanties, des instruments de partage des risques, des instruments de dette assortis de « dispositions contracycliques » visant à atténuer les effets négatifs de divers chocs exogènes (par exemple, diminution du service de la dette les années au cours desquelles un choc entame la capacité de paiement du débiteur), etc. Différentes voies fondées sur le marché justifient un emploi modernisé de l’APD. Il faudrait renforcer considérablement les capacités des organismes de développement pour pouvoir procéder à une évaluation rigoureuse des éventuelles défaillances des marchés et gérer judicieusement les risques et l’aléa moral. Il y aura peut-être des erreurs de parcours, mais face à la perspective de mobiliser de nouveaux marchés et acteurs privés, cela vaut vraiment la peine d’accomplir ces efforts de modernisation.
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