Column published in French in the French Newspaper Les Échos, 24 February 2021, under the title “Repenser l’aide au développement de l’Afrique”.
Le 22 février 2021 se tenait à Paris le 20ème Forum international économique sur l’Afrique conjointement organisé par l’OCDE, l’Union africaine et la République du Sénégal. Malgré des disparités nationales considérables, les différents pays du continent africain se caractérisent par l’association d’un potentiel plein de défis que représentent la jeunesse et la croissance démographique (la population y atteindrait entre 2,6 et 3,3 milliards d’habitants en 2060 d’après les Nations Unies) et de la vulnérabilité résultant de multiples dépendances : aux capitaux privés extérieurs et à l’endettement public, aux matières premières, à la croissance des marchés extérieurs, à l’aide au développement etc. Cette vulnérabilité explique largement le paradoxe d’un continent relativement épargné par la pandémie (si l’on en croit des statistiques cependant marquées par le faible nombre de tests) mais qui en aura beaucoup souffert : la baisse de la demande étrangère, la baisse des prix des matières premières, le ralentissement des entrées de capitaux ont mis fin à l’expansion de plus de deux décennies qui recelait tant de promesses et laisse de nombreux pays devant la tragédie humaine d’une nouvelle explosion de la pauvreté. Pour la première fois depuis un quart de siècle, la croissance économique moyenne en Afrique est devenue négative (-3,3% en 2020). Dans de nombreux pays, c’est plus d’une décennie de progression du niveau de vie par tête qui se trouve ainsi effacée. Selon la Banque mondiale, le nombre de personnes en situation de pauvreté extrême (mesurée par un revenu inférieur à 1,90 dollar par jour) pourrait augmenter de plus de 40 millions.
Au-delà de l’importance démographique croissante du Continent, des bénéfices économiques que son développement apporte au reste du monde, de la nécessité de le voir participer activement à la promotion de « biens publics mondiaux » (comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la protection de la biodiversité), les pays développés ont à l’égard du continent africain une responsabilité morale, humaine et politique d’accompagnement. L’un des instruments disponibles pour exercer cette responsabilité est l’aide au développement, à nouveau en débat. Or, l’obsession de son efficacité, paradoxalement, affecte négativement cette efficacité : elle amène à mettre l’accent sur des résultats mesurables à court (ou au mieux moyen) terme. Mais le développement est autre chose qu’une accumulation de résultats et d’investissements au coup par coup dans des infrastructures et des secteurs jugés prioritaires. C’est une histoire de transitions permanentes, et notamment de transition sociale et politique, comme l’ont par exemple remarquablement analysé Douglass North, John Wallis et Barry Weingast dans Violence et Ordres Sociaux. La pandémie rappelle d’ailleurs que ce sont les capacités intrinsèques des pays (en termes de gouvernance, d’organisation, de ressources publiques) qui deviennent essentielles en temps de crise. Rendre l’aide plus efficace, c’est mieux comprendre les ressorts de cette dynamique complexe de transitions dont les Africains, et notamment les jeunes qui représenteront plus de 50% de la population en 2050, doivent être les acteurs. Cela requiert davantage d’accompagnement dans la formation de capacités tant en matière d’apprentissage de pratiques, de politiques publiques et de techniques que de recherche. Les ressources externes plus que jamais nécessaires pour le développement doivent avoir pour contrepartie l’accès effectif, au-delà d’une élite bien formée souvent à l’étranger, à tout un corpus de connaissances techniques, théoriques et pratiques (dont celles résultant des démarches d’évaluation) qui constitue un bien public mondial que de nombreux pays en développement n’ont pas les moyens de mobiliser. Une fois cet accès établi, l’usage qu’ils choisiront d’en faire relève d’une dynamique sociale, politique et pratique locale et ce choix leur appartient.